Trop long; Pas lu

Après avoir reçu, et lu 4 tracts dans ma boite aux lettres, en respectant votre vote, je voulais juste souligner qu’on avait tous des bugs dans nos cerveaux, notamment le biais de confirmation qui nous rend plus sensible aux informations qui nous arrangent et qui nous relient à notre groupe social.

Si vous avez lu ces tracts, que vous les avez appréciés, vous pouvez faire l’effort de débugguer votre cerveau en lisant aussi la réponse qui a été faite par le conseil syndical, ainsi que les rapports d’audit. Bref, faites-vous votre propre idée.

nature
Photo by Dominik Scythe on Unsplash

D’où je parle ? J’habite dans la résidence depuis 14 ans et je suis touché par les enjeux planétaires auxquels nous faisons face pour la première fois dans l’histoire de l’humanité. L’environnement (pour ne pas dire la “nature” terme connoté dans cette opposition nature/culture qui nous vient des “lumières”) a cela de beau, qu’il est à la fois fragile (cf les extinctions animales de ces 50 dernières années) et extrêmement résilient : même si l’homme disparaît dans un feu de joie planétaire, ou dans un conflit nucléaire, la planète continuera d’exister sans nous.

Les décisions qu’on prend dans cette prochaine Assemblée Générale à distance sont plus impactantes que tous les gestes de colibri qu’on fait pour la plupart tous les jours (même si vous avez acheté une voiture électrique, ou refait vos fenêtres). Donc ça vaut le coup de voter en ayant toutes les informations, même celles qui peuvent déplaire.

Version longue

Une des conséquences inattendues du COVID c’est que notre AG de copro n’aura pas lieu en présentiel, alors que fait rage un nouveau débat sur la rénovation thermique de notre résidence. Conséquence : 4 tracts dans nos boites aux lettres nous demandent de voter contre.

Pour ceux qui passeraient par là, sans contexte, je m’appelle Bruno Thomas j’habite dans le 19e arrondissement de Paris depuis 14 ans, dans une grande résidence de 403 logements. Notre consommation en 2015 était de l’ordre de 6388 MWh. Je m’intéresse à l’écologie depuis 5 ans, date à laquelle je commençais un projet d’écoconception informatique.

Plutôt timide, je ne suis pas du tout un pilier d’AGs ou du poste de sécurité. J’y participe, mais je n’y ai jamais pris la parole en 14 ans. Alors pourquoi ici ?

Je crois pour trois raisons :

  • la culture écologique que je construis par les lectures et les événements auxquels je participe, est assez globale, théorique, avec des personnes qui me ressemblent. Ici c’est local et concret, avec des gens qui pour beaucoup sont soit opposés ou au pire indifférents;
  • les mots dans les boites aux lettres me posent plein de questions qui résonnent avec le problème de la désinformation
  • lors de notre premier débat sur le sujet, en 2015, il n’y avait pas eu tant de tracts, et la résolution de l’époque n’avait pas été votée (alors que nous votions une étude pour 70€/appart sur l’année). Vu la rumeur accompagnant ces tracts, je crains que celle-ci ne passe pas.

Pour les personnes contre ces rénovations qui passeraient également ici, je précise juste que j’écris ce mot de ma propre initiative et rien d’autre (pas de service commandé de qui que ce soit).

tracts

C’est intéressant de lire ces tracts car ils sont sincères. Des personnes ont pris le temps de les écrire, les sourcer, et argumenter (sauf pour celui en premier plan sur la photo). Et ces tracts influenceront probablement des indécis, rassureront ceux qui ne veulent/peuvent pas investir, et auront l’adhésion des proches des auteurs.

Pour résumer, derrière la même injonction “votez contre, ne vous abstenez pas”, il y a 4 idées :

  • il n’y a pas eu d’appel d’offre (ce qui est illégal)
  • 1,3M€ c’est pharaonique
  • avec le COVID c’est pas le moment de dépenser de l’argent, nous avons le temps
  • l’immeuble n’est pas une passoire thermique

il n’y a pas eu d’appel d’offre

Pourquoi c’est faux.

Deux entreprises ont été mandatées pour faire des appels d’offres. Il s’agit de Ceteam et LCO. Une douzaine d’entreprises ont été consultées.

L’analyse des offres a été faite le 24 juin (avec les entreprises mieux disantes, une personne de Ceteam , et deux personnes du conseil syndical), avec un rapport final du 8 juillet 2020 par Ceteam (missionné à l’AG 2019) pour les vitrages des parties communes (lauréat final Negro) et les toits-terrasses (lauréat final Etandex).

Une autre analyse des offres a été faite le 3 septembre 2020 pour la CTA (ventilation) piscine. Il n’y a pas eu de réunion finale « en présentiel » (la personne de LCO avait le COVID).

les seuls travaux sans appel d’offres sont la ventilation logements, débattue depuis plusieurs années (2015) avec DT qui est titulaire d’un contrat de maintenance.

Le rapport de la commission finale pour la subvention des travaux accorde une aide. Jamais une commission publique ne validerait un projet dans l’illégalité.

commission finale

J’invite les personnes qui relaient cette rumeur à se rapprocher du conseil syndical et à se renseigner, les documents sont disponibles.

1,3M€ c’est pharaonique

L’échelle de la résidence est la première chose qui m’a fasciné. Quand on entend parler en M€ lors des premières AG il y a une sorte de vertige économique.

Mais ces chiffres absolus prennent une autre signification lorsqu’ils sont déclinés par logement. Par exemple, ce même chiffre divisé par 3 (le nombre d’années des travaux), puis par 403 (le nombre de logements), retranché des aides publiques de 30% ça donne environ 750€ par an et par logement (attention c’est un calcul approximatif pour se faire une idée). C’est à dire un peu plus de 60€ par mois.

Avec le COVID c’est pas le moment

Il y a quelques années nous devions voter depuis 3 ans des travaux de mise aux normes de sécurité (repoussés à chaque AG), si bien que la préfecture menaçait de faire évacuer tout le bâtiment B (Immeuble de Grande Hauteur), si nous ne votions pas la résolution. Il y eut encore 30 à 40% des personnes qui votèrent contre. A cette époque, aucune pandémie, la société française était en allure de croisière.

covid & changement climatique

Par ailleurs, quand on considère que le COVID est d’une certaine manière révélateur de la pression humaine sur le vivant, et que la crise du COVID c’est de la roupie de sansonnet comparée à celle du réchauffement climatique, c’est un peu comme dire

c’est vraiment pas le moment de lutter pour la planète avec les crises environnementales qui arrivent!

Un des documents rappelle même l’objectif de la COP21 à savoir, l’équilibre carbone, c’est pour 2050. Donc d’ici là on continue d’éteindre la veilleuse de son écran plat, manger bio, utiliser un verre à dent plutôt que laisser couler l’eau, éteindre les lumières, mettre les déchets dans les poubelles jaune, vert, grise et marron, et voter écolo. Pour les trucs importants, on se retrouve en 2049.

Vraiment, on n’est pas capable de prendre notre part dans un mouvement citoyen mondial qui n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité ? A savoir que pour la première fois, les humains se cognent aux limites physiques de notre écosystème ?

Alors on fait comment ?

Mais qu’est-ce qu’on attend ? Que les gens de bonne volonté qui passent des centaines d’heures de bénévolat pour faire des petits pas dans le bon sens soient dégoûtés et qu’ils s’en aillent ? Qu’ils soient suivis par les personnes les plus mobiles et audacieuses ? Que les derniers ayant du pouvoir d’achat, amers de voir leur résidence perdre en attractivité partent à leur tour ?

Qu’est-ce qu’on dit à nos enfants, nos petits-enfants ou aux plus jeunes quand ils nous demandent ce qu’on fait pour que leur vie ne soit pas trop dégradée par rapport à celle que nous avons vécu ?

L’immeuble n’est pas une passoire thermique

Un des tracts expose que la loi Énergie-Climat établit un plafond à 330kWh/m2 alors que notre consommation énergétique serait inférieure à ce seuil. Le conseil syndical a répondu à ce point : ces plafonds concernent 4,8 millions de “passoires thermiques” qui sont F ou G sur l’échelle du diagnostic de performance énergétique (DPE). Nous sommes en catégorie E juste avant ces passoires.

Rien d’important si nous étions dans un petit pavillon de 4 personnes, mais vu la taille de notre résidence, ce n’est pas un luxe que d’améliorer cette situation.

Par exemple, nous rejetons un équivalent d’émissions de Gaz à Effet de Serre de 1 562 392 t éqCO2 (source 2015-11-19-Additif-pour-APC.pdf). Un A/R Paris/New York c’est une tonne éqCO2 par personne. Cela équivaut à 1 562 392 allers-retours Paris/New York, soit 3876 par appartement. Imaginez l’argument face à Gégé “alors ton vieux diesel, toujours pas remplacé ?” - “Non mais j’économise l’équivalent de plusieurs centaines d’allers-retours Paris/NY par an avec les travaux que je finance dans notre résidence”.

Par ailleurs si on le fait tôt on donne l’exemple, on permet à d’autres de bénéficier de notre expérience, on fait avancer le chantier global de la rénovation thermique des grands ensembles immobiliers.

Le risque du statu quo

Mais s’il fallait ne retenir qu’une chose de ces tracts demandant de voter contre c’est l’absence d’alternative. OK on ne veut pas dépenser, c’est pas le moment, etc. Mais au final quelles sont les alternatives ?

Or il y a aussi un risque à ne rien faire : ne pas participer à l’amélioration du climat, prendre du retard dans les rénovations des habitats, passer à côté des opportunités de financement de nos travaux, dévaluer notre patrimoine immobilier, avoir des conditions de vie dégradées, ne pas être fier de notre cadre de vie.

Par exemple, pour les financements nous avons passé 3 étapes depuis 2018 afin de les maintenir, et les conditions d’obtention ont été durcies (que Belvédère Fenêtres atteigne ses objectifs en 2021). Dès 2021 la rénovation thermique va devenir obligatoire, les incitations n’existeront plus. C’est donc la dernière opportunité que nous ayons de bénéficier de ces aides.

L’asymétrie de la désinformation

equilibre
Photo by F Cary Snyder on Unsplash

Il y a deux semaines est sorti un “documentaire”, financé par crowdfounding. C’est un gloubiboulga de rumeurs et théorie du complot. Cette vidéo a déjà atteint 1,5M de vues sur youtube. En deux semaines. Il a demandé des heures et des heures à des rédactions de journaux du monde entier pour “debunker” toutes les contre-vérités qu’il expose. Il aura de manière indélébile marqué les esprits de millions de personnes. Il persistera, même si dans quelques années il sera probablement considéré comme un artefact chelou de l’époque trouble que nous vivons.

Des pré-révolutionnaires Russes divers ont plagié plusieurs romans et essais du XIXe siècle en composant un texte idéologique et bancal, “le protocole des sages de sion”. Il a nourri une doctrine ayant eu pour conséquence une guerre mondiale qui a fait 60 millions de victimes. Il est toujours lu et alimente encore les partis d’extrême-droite notamment au moyen orient. Des milliers de personnes, universitaires, écrivains, journalistes ont démonté cet ouvrage. En vain. C’est publié, le résultat a pris son autonomie, il a échappé aux auteurs, et continuera de faire des ravages.

La simplicité de la rumeur et l’attrait de la désinformation les rendent beaucoup plus véloces que les faits scientifiques ou les explications détaillées et sourcées. Ces tracts en sont un exemple miniature. Ces rumeurs circulent déjà : on entend des allusions au gré des discussions, des personnes interpellent pour voter contre dans les ascenseurs. Bizarrement, personne ne m’a approché pour me dire de surtout voter pour. C’est un hold-up informationnel.

Malgré tout, je reste optimiste, car je crois aussi que la plupart des personnes “de la majorité silencieuse”, n’en dit rien, mais n’en pense pas moins. J’espère que, comme aux États-Unis récemment, c’est elle qui l’emportera.